Antidépresseurs et trouble bipolaire : les risques de déstabilisation de l'humeur

Antidépresseurs et trouble bipolaire : les risques de déstabilisation de l'humeur
Phoenix Uroboro déc., 24 2025

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Prendre un antidépresseur pour une dépression bipolaire, c’est comme allumer une bougie dans une pièce remplie de gaz : parfois, ça éclaire. Mais parfois, ça explose. Ce n’est pas une métaphore. C’est ce que des milliers de patients ont vécu - et ce que les études confirment depuis des décennies.

Les antidépresseurs ne sont pas une solution universelle

On pense souvent qu’un antidépresseur, c’est un antidépresseur. Que si ça marche pour une dépression classique, ça devrait marcher aussi pour une dépression bipolaire. Ce n’est pas vrai. Les données montrent qu’ils sont nettement moins efficaces dans le trouble bipolaire. Pour une dépression unipolaire, il faut traiter environ 7 personnes pour en aider une (NNT = 6-8). Pour une dépression bipolaire, il faut traiter près de 30 personnes pour en aider une seule (NNT = 29,4). Autrement dit, la plupart des patients ne tirent aucun bénéfice réel.

Et le prix à payer ? Un risque de passage à l’maniaque - ce qu’on appelle un « switch ». Selon une méta-analyse de 51 essais impliquant plus de 10 000 patients, environ 12 % des personnes traitées par antidépresseurs connaissent un épisode maniaque ou hypomaniaque. Dans les études rétrospectives, ce chiffre monte à 31 %. Pourquoi cette différence ? Parce que dans la vraie vie, les patients sont souvent mal diagnostiqués, traités trop longtemps, ou sans stabilisateur de l’humeur.

Quels antidépresseurs sont les plus dangereux ?

Tous les antidépresseurs ne se valent pas. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), comme la sertraline ou l’escitalopram, ont un risque modéré - autour de 8 à 10 %. Les antidépresseurs tricycliques, comme l’amitriptyline, sont bien plus risqués : jusqu’à 25 % de risque de switch. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN), comme le venlafaxine, sont aussi à éviter. Ils augmentent le risque de mélange maniaque-dépressif, un état particulièrement dangereux.

Le bupropion est parfois considéré comme plus sûr, car il agit sur la dopamine et la noradrénaline, pas sur la sérotonine. Mais même lui peut déclencher une manie chez les patients à risque. Il n’existe pas d’antidépresseur « sûr » dans le trouble bipolaire. Seule la prudence peut limiter les dégâts.

Qui est le plus à risque ?

Le risque de déstabilisation ne touche pas tout le monde de la même façon. Voici les profils à risque élevé :

  • Diagnostiqué Bipolaire I : le risque est plus élevé que pour le Bipolaire II.
  • Antécédent de switch induit par un antidépresseur : si vous avez déjà eu une manie après un antidépresseur, votre risque est multiplié par 3,2.
  • Cours à cycles rapides : 18 à 25 % des patients bipolaires ont des épisodes qui se succèdent en moins de 12 mois. Pour eux, les antidépresseurs peuvent aggraver la situation.
  • Épisode dépressif avec caractéristiques mixtes : 20 % des dépressions bipolaires contiennent déjà des signes de manie (agitation, impulsivité, sommeil réduit). C’est un signal d’alerte rouge. L’antidépresseur peut faire basculer l’ensemble du système.

Si vous avez un ou plusieurs de ces facteurs, les antidépresseurs ne devraient même pas être envisagés. Pas comme traitement de première intention. Pas comme traitement à long terme. Pas même comme traitement d’appoint.

Les alternatives approuvées : mieux, plus sûres

Depuis 2003, la FDA a approuvé quatre traitements spécifiquement pour la dépression bipolaire - et aucun n’est un antidépresseur :

  • Quetiapine (Seroquel) : 50 à 60 % de réponse, moins de 5 % de switch.
  • Lurasidone (Latuda) : 50 % de réponse, seulement 2,5 % de switch.
  • Cariprazine (Vraylar) : 48 % de réponse, 4,5 % de switch.
  • Combinaison olanzapine-fluoxétine (Symbyax) : efficace, mais avec un risque de prise de poids et de diabète.

Ces traitements ne sont pas parfaits. Ils ont leurs effets secondaires. Mais ils n’ont pas ce risque de faire basculer l’humeur. Et ils agissent sur la racine du problème : la régulation de l’humeur, pas seulement sur la dépression.

Deux jeunes femmes dans un couloir de clinique, l'une tenant une pilule dorée apaisante, l'autre une bouteille qui fume.

La vérité sur la rapidité d’action

Un des arguments les plus fréquents pour utiliser les antidépresseurs ? « Ils agissent plus vite. » C’est vrai. Ils peuvent soulager la dépression en 2 à 4 semaines. Les stabilisateurs, comme le lithium ou la valproate, mettent souvent 4 à 6 semaines pour faire effet.

Mais ce gain de temps est trompeur. Parce que si vous déclenchez une manie, vous perdez non seulement ces semaines, mais aussi plusieurs mois de rétablissement. Une hospitalisation. Un arrêt de travail. Des relations brisées. Des pensées suicidaires qui explosent. Le gain à court terme est illusoire. Le coût à long terme est colossal.

Les experts ne sont pas d’accord - mais les données le sont

Il y a des psychiatres qui disent que les ISRS peuvent être utilisés en toute sécurité, si on les combine avec un stabilisateur. C’est ce que soutient le Dr Roger McIntyre. D’autres, comme le Dr Nassir Ghaemi, affirment que les antidépresseurs sont intrinsèquement déstabilisants - et que 80 % des patients bipolaires en prennent, alors que seulement 50 % prennent un vrai stabilisateur.

La vérité ? Les grandes lignes directrices internationales sont claires. L’ISBD (Société Internationale des Troubles Bipolaires), qui regroupe 47 experts mondiaux, recommande :

  • Éviter les antidépresseurs en monothérapie - jamais.
  • Ne les utiliser que comme traitement d’appoint, à court terme.
  • Ne les prescrire que pour des dépressions sévères, résistantes à d’autres traitements.
  • Les arrêter après 8 à 12 semaines, même si ça marche.

Et pourtant, dans la pratique, 62 % des psychiatres en ville les prescrivent. Dans les centres universitaires, ce chiffre tombe à 38 %. Pourquoi ? Parce que c’est plus facile. Parce que les patients demandent. Parce que les médecins ne sont pas formés au trouble bipolaire.

Les erreurs courantes qui tuent

Voici les trois erreurs les plus fréquentes, et les plus dangereuses :

  1. Prolonger le traitement au-delà de 12 semaines : 65 % des patients en ville continuent des antidépresseurs pendant des mois, voire des années. Le risque de cyclage rapide augmente de 2,1 fois.
  2. Les prescrire sans stabilisateur : 30 % des cas en pratique courante. C’est une erreur fondamentale. Un antidépresseur seul, c’est comme mettre un moteur sur un bateau sans gouvernail.
  3. Continuer malgré des signes d’hypomanie : 25 % des cas. Une agitation légère. Un sommeil réduit. Une confiance excessive. Ces signes sont souvent minimisés. Et pourtant, ils sont le début d’une tempête.
Main tenant un calendrier marqué à 12 semaines, une ombre maniaque émerge des pilules, un comprimé de lithium émet une lueur turquoise.

Et les patients ? Ce qu’ils racontent

Les témoignages sont divisés. Certains disent : « L’escitalopram m’a sauvé. J’ai pu travailler, retrouver mes enfants. Jamais de manie. » D’autres : « Une seule prise de sertraline. Trois semaines en hôpital psychiatrique. J’ai failli perdre tout. »

La science ne peut pas dire qui sera dans quel camp. Mais elle peut dire que les patients avec antécédents de switch, de cyclage rapide ou de symptômes mixtes ont une probabilité supérieure à 30 % de basculer. Et ce n’est pas un risque acceptable.

Le futur : vers une médecine personnalisée

Des recherches récentes cherchent à prédire qui va réagir mal. Une étude de 2022 a montré que les patients avec un certain gène - le génotype LL du transporteur de sérotonine - ont un risque 3,2 fois plus élevé de switch. Ce n’est pas encore un test courant, mais c’est un début.

Des traitements nouveaux arrivent : la ketamine sous forme de spray (esketamine) a montré une réponse de 52 % avec seulement 3,1 % de switch. Ce n’est pas encore disponible partout, mais c’est l’avenir. Des molécules qui agissent à la fois comme antidépresseurs et comme stabilisateurs sont en phase de test.

Le message est clair : les antidépresseurs ne sont pas la solution. Ils sont un outil à manier avec une extrême prudence - et seulement dans les cas les plus extrêmes.

Que faire si vous êtes concerné ?

Si vous ou un proche êtes diagnostiqué avec un trouble bipolaire et qu’on vous prescrit un antidépresseur :

  • Exigez un diagnostic précis. 40 % des patients bipolaires sont mal diagnostiqués au départ comme dépression unipolaire.
  • Demandez si un traitement approuvé pour le trouble bipolaire a été essayé - quetiapine, lurasidone, cariprazine.
  • Si un antidépresseur est proposé, exigez qu’il soit associé à un stabilisateur de l’humeur - lithium, valproate, carbamazépine, ou un antipsychotique atypique.
  • Demandez un suivi hebdomadaire pendant les 4 premières semaines. Notez tout changement : sommeil, énergie, impulsivité, pensées de grandeur.
  • Si un seul signe d’hypomanie apparaît - arrêtez immédiatement. Ne pas attendre.
  • Refusez la prescription à long terme. Il n’y a pas de preuve que ça aide après 12 semaines. Seulement des preuves qu’il y a des risques.

La dépression bipolaire est douloureuse. Mais les antidépresseurs ne sont pas la solution. Ils sont une bombe à retardement. Et la seule façon de l’éviter, c’est de ne pas l’allumer.

Les antidépresseurs peuvent-ils provoquer une manie chez les personnes bipolaires ?

Oui, c’est un risque bien documenté. Entre 12 % et 31 % des patients bipolaires traités par antidépresseurs peuvent connaître un passage à l’maniaque, selon les études. Ce phénomène, appelé « switch », peut être brutal : agitation, insomnie, impulsivité, idées de grandeur. Il peut nécessiter une hospitalisation. Ce risque est plus élevé avec les antidépresseurs tricycliques, les IRSN, ou en l’absence de stabilisateur de l’humeur.

Pourquoi les antidépresseurs sont-ils moins efficaces dans le trouble bipolaire ?

Parce que le trouble bipolaire n’est pas une simple dépression. C’est un déséquilibre de l’humeur, avec des phases maniaques et dépressives. Les antidépresseurs agissent sur la dépression, mais pas sur la manie. Ils ne stabilisent pas le système. Dans le trouble unipolaire, ils corrigent un déficit de sérotonine. Dans le trouble bipolaire, le problème est plus profond : régulation neurologique, cycles circadiens, inflammation cérébrale. Les traitements approuvés comme la quetiapine ou la lurasidone agissent sur ces mécanismes.

Quels sont les meilleurs traitements pour la dépression bipolaire ?

Les traitements approuvés par la FDA pour la dépression bipolaire sont : la quetiapine (Seroquel), la lurasidone (Latuda), la cariprazine (Vraylar), et la combinaison olanzapine-fluoxétine (Symbyax). Ils offrent une réponse efficace (48 à 60 %) avec un risque de switch inférieur à 5 %. Le lithium et la valproate peuvent aussi être utilisés, surtout en combinaison. Ces traitements ciblent la stabilité de l’humeur, pas seulement la dépression.

Est-ce que le bupropion est plus sûr que les autres antidépresseurs ?

Il est souvent considéré comme moins risqué, car il n’agit pas sur la sérotonine, mais sur la dopamine et la noradrénaline. Cela réduit légèrement le risque de switch. Mais il n’est pas sans danger. Des cas de manie induite par le bupropion sont rapportés, surtout chez les patients à haut risque (Bipolaire I, antécédents de switch, cyclage rapide). Il ne doit jamais être utilisé en monothérapie. Même avec un stabilisateur, il faut surveiller de près.

Combien de temps peut-on prendre un antidépresseur en cas de trouble bipolaire ?

Les recommandations internationales (ISBD 2022) stipulent que les antidépresseurs doivent être utilisés uniquement à court terme - entre 8 et 12 semaines maximum - et uniquement en combinaison avec un stabilisateur. Au-delà, le risque de cyclage rapide, d’épisodes récurrents et de résistance au traitement augmente. Il n’existe aucune preuve qu’ils soient bénéfiques à long terme. Leur utilisation prolongée est une pratique courante, mais non fondée sur des données.

Que faire si je ressens des signes de manie pendant un traitement par antidépresseur ?

Arrêtez immédiatement le traitement et consultez votre médecin. Ne cherchez pas à « attendre un peu ». Les signes de début de manie sont souvent subtils : sommeil réduit sans fatigue, pensées rapides, impulsivité accrue, confiance excessive, dépenses inconsidérées, irritabilité. Ces signes peuvent évoluer en 48 heures vers une manie complète. La prise en charge rapide peut éviter une hospitalisation. Informez votre médecin de tous les changements, même les plus petits.

Les enfants et adolescents bipolaires peuvent-ils prendre des antidépresseurs ?

Les données récentes (étude JAMA Network, 2024) montrent qu’au cours des 12 premières semaines, le risque de switch chez les jeunes n’est pas significativement plus élevé qu’avec un placebo. Mais ce risque augmente avec le temps. Les recommandations restent prudentes : éviter les antidépresseurs en monothérapie, privilégier les traitements approuvés comme la quetiapine, et surveiller étroitement. Le diagnostic de trouble bipolaire chez les jeunes est complexe - il faut s’assurer qu’il n’est pas confondu avec un TDAH ou un trouble de l’humeur.

Pourquoi les médecins continuent-ils de prescrire des antidépresseurs malgré les risques ?

Parce que c’est plus facile. Les antidépresseurs sont connus, prescrits depuis des décennies, et les patients les demandent souvent. Beaucoup de médecins généralistes ne sont pas formés au trouble bipolaire. 40 % des patients bipolaires sont mal diagnostiqués au départ. Les traitements approuvés comme la lurasidone ou la cariprazine sont plus chers, moins connus, et nécessitent un suivi plus rigoureux. La routine, la pression des patients et le manque de formation expliquent cette pratique, même si elle va à l’encontre des meilleures preuves scientifiques.