Les infections fongiques, un problème courant mais souvent négligé
Vous avez peut-être déjà ressenti cette démangeaison persistante entre les orteils, ou cette sensation de peau qui pèle sans raison apparente. Ou encore, ce blanc laiteux dans la bouche qui ne part pas, même après vous être brossé les dents. Ces signes ne sont pas juste des irritations passagères. Ce sont des infections fongiques, causées par des champignons qui prolifèrent quand notre corps perd le contrôle. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’est pas une question d’hygiène déficiente. C’est une bataille biologique entre votre système immunitaire et des micro-organismes qui adorent la chaleur et l’humidité.
Chaque année, 15 % de la population mondiale souffre d’une infection fongique de la peau. En France, une femme sur quatre aura au moins une mycose vaginale dans sa vie. Le pied d’athlète, lui, touche jusqu’à 30 % des personnes vivant dans les régions chaudes et humides. Ces chiffres ne mentent pas. Et pourtant, la plupart des gens traitent ces infections comme des petits problèmes, en les laissant traîner ou en arrêtant le traitement dès que ça va mieux. C’est une erreur coûteuse.
Le pied d’athlète : plus qu’une simple démangeaison
Le pied d’athlète, ou tinea pedis, est causé par des dermatophytes : des champignons qui se nourrissent de kératine, une protéine présente dans la peau, les ongles et les cheveux. Les espèces les plus courantes sont Trichophyton rubrum, T. mentagrophytes et Epidermophyton floccosum. Ces microbes ne viennent pas de nulle part. Ils se trouvent dans les vestiaires, les douches publiques, les piscines, les tapis de yoga, les chaussures humides. Vous les ramenez chez vous sans même vous en rendre compte.
Il existe trois formes principales :
- Interdigitale (70 % des cas) : la plus fréquente. La peau entre les orteils - surtout le quatrième et le cinquième - devient blanche, macérée, fissurée, et ça pique fort.
- Mocassin (20 %) : la peau des semelles et des côtés des pieds devient sèche, épaissie, comme du cuir. On la confond souvent avec un eczéma.
- Vésiculeuse (10 %) : des cloques remplies de liquide apparaissent, souvent sur le dessus du pied. C’est la forme la plus inflammatoire.
Le piège ? Beaucoup pensent que si ça ne gratte plus, c’est guéri. Faux. Le champignon est toujours là, dormant sous la peau. Et il revient, plus fort, dans 40 % des cas si le traitement est arrêté trop tôt. Une étude du Cleveland Clinic montre que seuls 32 % des patients qui interrompent leur traitement avant la fin voient une guérison durable. Ceux qui suivent jusqu’au bout, eux, réussissent à 67 %.
Candida : quand le champignon intérieur se révolte
Contrairement au pied d’athlète, Candida albicans - le principal coupable des mycoses de type candidose - n’a pas besoin de la peau pour se développer. C’est un champignon qui vit naturellement dans notre intestin, notre bouche, notre vagin. En équilibre, il ne pose aucun problème. Mais quand l’immunité baisse, quand on prend des antibiotiques, quand on a du diabète, ou quand on est stressé, il se met à proliférer.
Les symptômes varient selon l’endroit :
- Bouche : plaques blanches qui saignent quand on les gratte (thrush). Chez les personnes immunodéprimées, c’est quasi inévitable : 90 % des patients atteints du VIH développent une candidose buccale.
- Vagin : démangeaisons intenses, sécrétions blanches en « fromage cottage », douleurs pendant les rapports. 75 % des femmes en auront au moins une dans leur vie.
- Systémique : la forme la plus grave. Le champignon entre dans le sang. Cela peut arriver chez les patients en chimiothérapie, après une chirurgie majeure, ou avec un cathéter veineux. Le taux de mortalité peut atteindre 40 %.
Le plus inquiétant ? Ces infections ne sont plus aussi faciles à traiter. Des souches résistantes à la fluconazole apparaissent. Et les traitements traditionnels ne marchent plus aussi bien qu’avant.
Les traitements : topiques ou oraux, quel choix ?
Le choix du traitement dépend de la gravité, de l’emplacement et de votre état de santé.
Topiques : pour les cas légers
Les crèmes, poudres et sprays sont le premier réflexe. Voici les plus efficaces :
- Clotrimazole et miconazole : azoles, disponibles sans ordonnance. Bonne efficacité (70-80 %) sur le pied d’athlète, mais il faut les appliquer pendant 2 à 4 semaines, et même après la disparition des symptômes.
- Terbinafine (Lamisil) : un allylamine. Plus puissant. Il tue le champignon, pas seulement le freine. Des utilisateurs rapportent une amélioration en 48 heures. Une étude sur Reddit montre qu’il a guéri un cas de 6 mois en 10 jours, alors que le clotrimazole avait échoué pendant 3 semaines.
- Onguent de Whitfield : mélange de 3 % d’acide salicylique et 6 % d’acide benzoïque. Il agit comme un exfoliant doux, enlevant la peau morte et humide. Son efficacité sur les formes interdigitales atteint 65 % après 4 semaines, contre 55 % pour le clotrimazole seul.
Problème ? Les traitements topiques ont un taux de récidive élevé. Si vous ne changez pas vos habitudes, le champignon reviendra. Et ils ne marchent pas sur les ongles ou les zones profondes.
Oraux : pour les cas résistants ou récurrents
Quand les crèmes ne suffisent pas, on passe aux comprimés :
- Terbinafine : 250 mg par jour pendant 2 à 6 semaines. Taux de guérison : 80-90 %. C’est le traitement de référence pour les mycoses des ongles et les formes récalcitrantes du pied d’athlète.
- Itraconazole : 200 mg par jour pendant 1 à 2 semaines. Bon pour les infections multiples (pied, ongles, plis).
- Fluconazole : 150 mg une fois par semaine pendant 2 à 4 semaines. Très utilisé pour les mycoses vaginales et buccales.
Les traitements oraux réduisent les récidives à 15-20 %. Mais ils ont des effets secondaires : nausées, fatigue, parfois des problèmes hépatiques. Ils ne doivent pas être pris sans avis médical, surtout si vous avez déjà des maladies du foie ou prenez d’autres médicaments.
Les nouvelles armes contre les champignons résistants
La bataille contre les champignons évolue. Depuis 2021, la FDA a approuvé Ibrexafungerp (Brexafemme), le premier antifongique d’une nouvelle classe en 20 ans. Il est efficace contre les souches résistantes à la fluconazole, et il est désormais disponible pour les mycoses vaginales récurrentes.
En 2023, des essais cliniques sur olorofim, un nouvel antifongique topique, ont montré 82 % de guérison pour les formes de pied d’athlète qui n’ont pas réagi aux traitements classiques. Ce médicament pourrait bientôt être disponible en Europe.
Et puis, il y a la menace des souches résistantes. Le Trichophyton indotineae, identifié pour la première fois en Inde en 2017, s’est propagé à 28 pays. Il ne répond plus aux traitements standard. L’OMS l’a classé comme « pathogène fongique prioritaire ». Sans nouvelles solutions, on pourrait assister à une augmentation de 50 % des résistances d’ici 2030.
Comment éviter que ça revienne ?
Guérir, c’est une chose. Empêcher la récidive, c’est l’affaire de toute une vie.
- Gardez vos pieds secs : après la douche, séchez bien entre les orteils. Utilisez une serviette propre chaque fois.
- Changez de chaussettes tous les jours : privilégiez le coton ou les fibres techniques qui absorbent l’humidité.
- Utilisez des poudres antifongiques : celles à base de miconazole à 2 % sont très efficaces pour prévenir la macération.
- Évitez de marcher pieds nus dans les vestiaires, les piscines, les hôtels. Mettez des tongs.
- Ne partagez pas vos chaussures, vos serviettes, vos peignes : les champignons survivent des semaines sur les surfaces.
- Ne grattez pas : vous risquez de propager l’infection à vos mains, à vos ongles, à d’autres parties du corps.
Si vous avez du diabète, une maladie du système immunitaire ou une mauvaise circulation sanguine, consultez un médecin dès les premiers signes. Une mycose bénigne peut dégénérer en cellulite, en pyodermie, voire en ostéomyélite - une infection osseuse très grave.
Le marché et les chiffres qui parlent
Le marché mondial des antifongiques a atteint 14,3 milliards de dollars en 2022. Il devrait dépasser les 21,7 milliards d’ici 2028. 85 % des personnes traitent d’abord leurs mycoses avec des produits en vente libre. Seulement 15 % consultent un médecin en premier.
Les pharmacies vendent 55 % des traitements topiques. Les hôpitaux, eux, prescrivent 45 % des traitements systémiques - pour les cas les plus graves, comme la candidose invasive. C’est une indication claire : les gens sous-estiment la gravité de ces infections.
La CDC a lancé un programme en 2022 appelé « My Action Plan » pour les patients diabétiques. Il combine éducation, contrôle glycémique et soins des pieds. Résultat ? Une réduction de 35 % des récidives dans les cliniques participantes. C’est une preuve que la prévention, bien faite, fonctionne.
Les erreurs à ne jamais commettre
- Arrêter le traitement trop tôt : c’est la cause numéro un des récidives. Même si ça ne gratte plus, continuez 1 à 2 semaines après.
- Confondre avec un eczéma : les deux peuvent ressembler à une peau sèche. Mais un eczéma ne répond pas aux antifongiques. Si ça ne va pas mieux après 2 semaines, consultez.
- Utiliser des produits maison : vinaigre, huile d’arbre à thé, bicarbonate… Ces remèdes ne sont pas prouvés. Certains irritent la peau et aggravent l’infection.
- Ignorer les signes de surinfection bactérienne : si votre peau devient rouge, chaude, gonflée, ou si vous avez de la fièvre, c’est une urgence. C’est peut-être une cellulite.
Les infections fongiques ne sont pas honteuses. Elles sont courantes. Mais elles ne sont pas inoffensives. Elles peuvent vous gâcher la vie - et parfois, même vous mettre en danger. Le bon traitement, appliqué jusqu’au bout, avec de bonnes habitudes, fonctionne. Le problème, c’est qu’on n’y croit pas assez.
Le pied d’athlète peut-il se transmettre par les chaussures ?
Oui, absolument. Les champignons survivent plusieurs semaines sur les semelles, les doublures et même les tapis de sol. Si vous avez eu une infection, désinfectez vos chaussures avec un spray antifongique ou laissez-les sécher à l’air libre pendant plusieurs jours. Évitez de les porter sans chaussettes.
La fluconazole guérit-elle vraiment les mycoses vaginales ?
Oui, la fluconazole est très efficace pour les mycoses vaginales causées par Candida albicans. Une dose unique de 150 mg guérit 80 à 90 % des cas. Mais si les symptômes reviennent après 2 mois, il faut faire un examen pour vérifier s’il ne s’agit pas d’une souche résistante ou d’un autre problème.
Les antifongiques naturels marchent-ils ?
Aucune étude scientifique rigoureuse ne prouve que l’huile d’arbre à thé, le vinaigre ou le bicarbonate de soude guérissent une infection fongique. Certains peuvent soulager les démangeaisons, mais ils ne tuent pas le champignon. Dans les cas graves, les traitements naturels retardent la guérison et augmentent le risque de complications.
Pourquoi les diabétiques sont-ils plus à risque ?
Le diabète affaiblit le système immunitaire et réduit la circulation sanguine, surtout dans les pieds. Cela permet aux champignons de s’installer facilement. De plus, le sucre dans la sueur et la peau est un excellent repas pour Candida. Une simple mycose peut vite devenir une plaie ouverte, puis une infection osseuse. C’est pourquoi les diabétiques doivent inspecter leurs pieds chaque jour.
Faut-il traiter les ongles en même temps que le pied ?
Si vos ongles sont jaunis, épaissis ou friables, il y a de fortes chances qu’ils soient infectés. Le champignon peut passer du pied à l’ongle, et inversement. Traiter seulement le pied sans s’occuper des ongles, c’est comme éteindre un feu en ne supprimant que les flammes - la source reste là. Dans ce cas, un traitement oral comme la terbinafine est souvent nécessaire.