Chaque année, des millions de patients sont exposés à des erreurs de délivrance en pharmacie - des fautes qui peuvent sembler minimes mais qui ont des conséquences graves. Une étude publiée en 2023 dans PubMed montre qu’en moyenne, 1,6 % des prescriptions distribuées contiennent une erreur. Ce chiffre peut grimper jusqu’à 33 % dans certains établissements. Ce n’est pas un problème lointain. C’est quelque chose qui se passe dans votre pharmacie locale, dans l’hôpital voisin, dans la chaîne de distribution que vous utilisez chaque jour.
Les erreurs les plus fréquentes et où elles se produisent
Les erreurs de délivrance ne sont pas toutes les mêmes. Certaines sont simples, d’autres mortelles. Les trois types les plus courants sont :
- Donner le mauvais médicament, la mauvaise posologie ou le mauvais forme posologique (32 % des erreurs) - par exemple, donner du lorazepam au lieu du clonazepam, ou une comprimé de 10 mg au lieu de 5 mg.
- Calculer une dose incorrecte (28 % des erreurs) - souvent quand la posologie doit être ajustée selon le poids, la fonction rénale ou l’âge du patient. Un patient âgé recevant une dose d’antibiotique conçue pour un adulte jeune peut souffrir d’effets toxiques.
- Ne pas détecter une interaction médicamenteuse ou une contre-indication (24 % des erreurs) - comme prescrire un anticoagulant à un patient qui prend déjà un anti-inflammatoire non stéroïdien, augmentant le risque de saignement.
Les médicaments les plus impliqués dans les erreurs graves sont les anticoagulants (31 %), les antibiotiques (28 %), les opioïdes (24 %), les anticonvulsivants (12 %) et les antidépresseurs (9 %). Pour les antibiotiques, plus de 40 % des erreurs viennent du fait que le pharmacien n’a pas vérifié les allergies du patient. Et pourtant, cette vérification prend moins de 10 secondes.
Les causes réelles : ce qui pousse les erreurs à arriver
On a tendance à blâmer le pharmacien. Mais la vérité, c’est que les erreurs viennent rarement d’une négligence volontaire. Elles viennent de systèmes défectueux.
La principale cause ? La pression du travail. 37 % des erreurs surviennent quand le pharmacien est surchargé, avec plusieurs patients en attente, des appels téléphoniques, des demandes de remboursement, et des ordonnances mal écrites qui arrivent en même temps. En 2022, une étude dans 47 pharmacies communautaires a montré que chaque interruption pendant la préparation d’une ordonnance augmente le risque d’erreur de 12,7 %. Une simple conversation avec un collègue, un appel du médecin, ou même un patient qui demande où trouver les sirops pour enfants - tout cela peut détourner l’attention au moment critique.
Les noms de médicaments similaires sont une autre source majeure. Hydralazine et hydroxyzine, metoprolol et propafenone, fluoxetine et fluvoxamine - ces noms se ressemblent à l’écrit, à l’oral, et même dans les systèmes informatiques. Les pharmacies qui n’utilisent pas la technique des lettres en majuscules (Tall Man lettering) - comme HYDRAlazine et HYDROxyzine - ont des taux d’erreurs jusqu’à 57 % plus élevés.
Et puis il y a les ordonnances manuscrites. 43 % des erreurs proviennent encore de prescriptions illisibles. Même avec la numérisation, beaucoup de médecins continuent à écrire à la main, et les pharmacies doivent interpréter. Un « 5 » peut devenir un « 3 », un « 0 » peut ressembler à un « 6 ». Et quand le pharmacien ne connaît pas bien le patient - ses allergies, ses antécédents rénaux, ses autres traitements - l’erreur devient inévitable.
Comment les prévenir : des solutions éprouvées
Heureusement, les erreurs ne sont pas inévitables. Des solutions existent, et elles marchent - si on les applique bien.
La vérification double est la méthode la plus efficace pour les médicaments à haut risque. Pour l’insuline, les anticoagulants, les opioïdes et les chimiothérapies, deux professionnels doivent vérifier indépendamment la prescription, le médicament, la dose, la voie et le patient. Une pharmacie hospitalière a réduit ses erreurs de 78 % en 18 mois en mettant en place ce protocole. Cela prend un peu plus de temps, mais ça sauve des vies.
Le balayage par code-barres est devenu une norme dans les hôpitaux. Avant de donner un médicament, le pharmacien scanne le code-barres du médicament et celui du patient. Si ça ne correspond pas, le système alerte. Une étude nationale en 2023 a montré que cette technologie a réduit les erreurs de 47,3 % : 52 % pour les mauvais médicaments, 49 % pour les mauvaises doses. Et c’est gratuit pour le patient - ça ne coûte que de la formation et du matériel.
Les systèmes d’aide à la décision clinique (CDSS) intégrés aux logiciels de pharmacie alertent automatiquement quand une ordonnance contient une interaction, une contre-indication ou une dose trop élevée. Mais attention : trop d’alertes = alerte fatigue. Un pharmacien sur trois finit par ignorer les alertes parce qu’elles sont trop nombreuses, souvent inutiles. La clé ? Des alertes intelligentes, ciblées, et personnalisées au patient - pas des notifications automatiques qui encombrent l’écran.
La formation continue n’est pas un luxe. Les pharmaciens doivent être formés régulièrement non seulement aux nouveaux médicaments, mais aussi aux erreurs fréquentes. Une session de 30 minutes par mois sur les noms de médicaments à risque, les erreurs de dosage chez les personnes âgées, ou les allergies croisées peut réduire les erreurs de 41 %. Ce n’est pas une dépense - c’est une protection.
La technologie : un allié, pas un remplaçant
Les robots de dispensation, les intelligences artificielles, les systèmes connectés aux dossiers médicaux électroniques - tout cela semble être la solution idéale. Et dans certains cas, ça l’est. Les robots ont réduit les erreurs de 63 % dans les hôpitaux qui les ont adoptés. L’IA a réduit les erreurs de 53 % dans les essais cliniques.
Mais ces technologies ne fonctionnent pas seules. Un robot peut mal étiqueter un flacon. Une IA peut ignorer un antécédent d’allergie non saisi dans le dossier. Un système électronique peut bloquer une ordonnance légitime parce qu’il ne comprend pas le contexte. La technologie est puissante, mais elle ne remplace pas la vigilance humaine. Elle la renforce.
Le vrai progrès vient de l’hybridation : un pharmacien formé, un système intelligent, et un processus qui oblige à vérifier. Pas un système qui laisse tout à l’ordinateur. Pas un pharmacien qui travaille seul dans le stress.
Le changement culturel : arrêter de blâmer, commencer à apprendre
La plupart des pharmacies ont une culture de culpabilité. Quand une erreur arrive, on cherche le coupable. Le pharmacien a oublié de vérifier. Le technicien a mal lu. Le stagiaire a mal emballé.
Le Dr Michael Cohen, fondateur de l’Institute for Safe Medication Practices, dit clairement : « Les erreurs ne viennent pas des personnes - elles viennent des systèmes qui ne protègent pas les personnes. »
Les pharmacies qui adoptent une culture d’apprentissage - où les erreurs sont signalées sans peur de sanction, analysées pour comprendre la cause racine, et où des changements systémiques sont mis en place - voient leurs taux d’erreurs baisser de 62 %. Ceux qui continuent à blâmer les individus ne réduisent que de 19 %.
Il faut arrêter de penser « Qui a fait l’erreur ? » et commencer à demander : « Pourquoi ce système a-t-il permis que cette erreur arrive ? »
Que peut faire un patient ?
Vous n’êtes pas seulement un client. Vous êtes le dernier rempart.
- Quand vous recevez votre ordonnance, vérifiez le nom du médicament, la dose, et la fréquence. Est-ce que ça correspond à ce que votre médecin vous a dit ?
- Si le médicament a l’air différent de ce que vous avez pris avant - forme, couleur, taille - demandez pourquoi.
- Si vous avez une allergie connue, dites-le à chaque pharmacien, même si vous êtes un client régulier.
- Ne laissez pas passer les explications. Posez des questions : « Qu’est-ce que je dois éviter en prenant ce médicament ? » « Est-ce qu’il peut interagir avec mes autres traitements ? »
Un patient qui pose une question simple peut empêcher une catastrophe. Ce n’est pas de la méfiance. C’est de la responsabilité partagée.
Le futur : vers une sécurité standardisée
En 2025, l’Organisation mondiale de la santé et l’ISMP vont lancer un système mondial de classification des erreurs médicamenteuses. Ce sera la première fois qu’on utilisera les mêmes définitions en France, aux États-Unis, au Japon ou au Brésil. Cela permettra de comparer les données, d’apprendre des meilleures pratiques, et de mesurer réellement les progrès.
Les pharmacies qui adoptent déjà les systèmes intégrés - ordonnances électroniques, vérification double, code-barres, alertes intelligentes - sont celles qui réduisent le plus les erreurs. Et celles qui attendent ? Elles continuent à courir après les dégâts.
La sécurité des patients n’est pas une question de chance. C’est une question de système. Et chaque pharmacie, chaque pharmacien, chaque patient, a un rôle à jouer. Il ne s’agit pas d’être parfait. Il s’agit de ne pas laisser les systèmes défectueux tuer.