Vous prenez un médicament sur ordonnance et vous ajoutez un supplément herbal parce que vous croyez que "naturel" signifie "sans risque". Ce n’est pas vrai. Des milliers de personnes chaque année se retrouvent à l’hôpital à cause de ces combinaisons apparemment inoffensives. Entre le ginkgo biloba que vous prenez pour la mémoire et le warfarin que votre médecin vous a prescrit pour éviter les caillots, il y a un danger réel - et souvent invisible.
Les interactions les plus dangereuses à connaître
Le Saint-Jean est l’un des suppléments les plus risqués. Il réduit la concentration de nombreux médicaments dans le sang, jusqu’à 60 %. Cela signifie que si vous prenez un antidépresseur comme la sertraline, un contraceptif oral, ou même un traitement contre le VIH, votre corps ne reçoit plus la dose nécessaire. Des cas documentés montrent des grossesses non désirées après l’usage de Saint-Jean avec la pilule, ou des rejets de greffe chez les transplantés qui ont pris ce supplément avec la ciclosporine. L’Académie américaine de médecine familiale le déconseille formellement avec tous les antidépresseurs.
Le ginkgo biloba, souvent utilisé pour améliorer la concentration ou la mémoire, augmente le risque de saignement. Il ne faut pas le combiner avec l’aspirine, le warfarin, l’apixaban ou tout autre anticoagulant. Entre 2010 et 2020, la Mayo Clinic a recensé 23 cas graves de saignements internes liés à cette association, dont trois mortels. Un utilisateur de Reddit, u/HeartPatient99, a été hospitalisé après avoir pris du ginkgo avec de l’apixaban : son INR a grimpé à 8,2 - un niveau qui peut provoquer des saignements incontrôlés.
Le curcuma et le gingembre sont souvent considérés comme sûrs, mais ils peuvent aussi augmenter le risque de saignement. Le garlic (ail) est un autre coupable : il diminue l’efficacité du saquinavir, un médicament contre le VIH, de 51 %. Même si vous ne prenez pas de traitement contre le VIH, l’ail peut réduire l’effet des statines ou des antihypertenseurs.
Le goldenseal bloque une enzyme clé du foie (CYP3A4), ce qui empêche la dégradation de nombreux médicaments. Résultat ? Leur concentration s’accumule dans le sang. Une étude de l’Université de Toronto a montré que le goldenseal réduit de 40 % l’élimination du midazolam, un sédatif. Si vous prenez un médicament contre l’anxiété, la pression artérielle ou le cholestérol, cette interaction peut être mortelle.
Les interactions sous-estimées
Le coenzyme Q10 est souvent pris pour la santé cardiaque, mais il peut réduire l’effet du warfarin de 25 à 30 %. Si vous surveillez votre INR, vous devez le vérifier chaque semaine si vous combinez ces deux produits. Beaucoup de patients ignorent cette interaction parce que le CoQ10 est vendu comme un "supplément naturel pour le cœur" - comme si ça le rendait inoffensif.
Le ginseng peut provoquer une hypertension ou une hypotension selon la personne. Il peut aussi déclencher un syndrome sérotoninergique quand il est combiné avec des antidépresseurs. Ce syndrome, rare mais grave, se manifeste par une fièvre élevée, des tremblements, une rigidité musculaire et une confusion. Il peut être fatal.
Le chamomille, souvent bu en tisane pour se détendre, peut augmenter le risque de saignement avec les anticoagulants. Le hawthorn, utilisé pour la pression artérielle, peut faire chuter la tension trop bas si vous prenez déjà un bêta-bloquant. Et le licorice ( réglisse ) peut épuiser vos réserves de potassium, surtout si vous prenez des diurétiques. Cela peut provoquer des arythmies cardiaques.
Les mythes qui tuent
Beaucoup pensent que si un produit est "naturel", il ne peut pas être dangereux. Une étude de l’Université du Michigan en 2019 a montré que 76 % des utilisateurs de suppléments pensent que "naturel = sûr". Et 63 % ne savent même pas qu’un supplément peut interagir avec un médicament. Pourtant, selon la Mayo Clinic, 25 % des adultes prennent à la fois des suppléments et des médicaments sur ordonnance - sans en parler à leur médecin.
Le cranberry est un autre mythe. Certains disent qu’il augmente le risque de saignement avec le warfarin. D’autres affirment le contraire. Une méta-analyse de la JAMA en 2020 a montré des variations de l’INR de 0,3 à 1,8 unités selon les personnes. Ce n’est pas fiable. Si vous prenez du warfarin, évitez les jus de canneberge ou les suppléments à base de cranberry - même si vous les avez toujours pris sans problème.
Que faire pour rester en sécurité ?
La première règle : dites toujours à votre médecin ou à votre pharmacien ce que vous prenez - même si c’est une tisane, une gélule ou une poudre. Beaucoup de gens cachent ces informations parce qu’ils pensent que ça n’a pas d’importance. Mais votre médecin ne peut pas vous protéger s’il ne sait pas ce que vous ingérez.
Voici ce que vous devez faire :
- Écrivez la liste de tous les suppléments que vous prenez : nom, dose, fréquence.
- Apportez-la à chaque rendez-vous médical, même si vous êtes venu pour un rhume.
- Ne prenez aucun nouveau supplément sans en parler à votre médecin.
- Utilisez l’outil de vérification des interactions de la NCCIH (National Center for Complementary and Integrative Health) - mis à jour chaque trimestre.
Les pharmacies commencent à utiliser des systèmes comme Stockley’s Herbal Medicine Interactions pour alerter les pharmaciens. Si vous achetez du ginkgo ou du Saint-Jean, le système devrait vous avertir si vous prenez déjà un anticoagulant ou un antidépresseur. Mais ce n’est pas encore partout. C’est à vous de faire le premier pas.
Les signaux d’alerte à ne pas ignorer
Si vous prenez un supplément et un médicament en même temps, surveillez ces symptômes :
- INR supérieur à 4,0 (saignements anormaux, gencives qui saignent, urines rouges, selles noires)
- Pression artérielle inférieure à 90/60 mmHg (étourdissements, vision floue, évanouissements)
- Fièvre supérieure à 39,5°C, rigidité musculaire, tremblements, confusion (syndrome sérotoninergique)
- Perte de poids inexpliquée, fatigue extrême, palpitations
Si vous avez l’un de ces signes, arrêtez le supplément et consultez immédiatement un médecin. Ne pas attendre.
Le marché et les lacunes réglementaires
Le marché mondial des suppléments a dépassé 165 milliards de dollars en 2023. Les herbes représentent 63 milliards de cette somme. Pourtant, la loi américaine DSHEA de 1994 ne demande pas aux fabricants de prouver la sécurité de leurs produits avant de les vendre. La FDA ne peut agir qu’après qu’un problème est survenu. En 2022, elle a dû avertir 17 entreprises pour avoir caché des médicaments dans leurs suppléments "naturels".
Les données sont lacunaires. Seuls 15 % des interactions documentées sont basées sur des essais cliniques rigoureux. Les 85 % restants proviennent de cas isolés ou d’études en laboratoire. Cela signifie que beaucoup de "précautions" sont basées sur des hypothèses. Mais ce n’est pas une raison pour prendre des risques.
Le futur : des systèmes mieux protégés
Les grands systèmes de dossiers médicaux électroniques, comme Epic, vont intégrer d’ici fin 2025 les données de la NCCIH pour alerter automatiquement les médecins quand un patient prend un supplément à risque. Ce sera un progrès. Mais ce n’est pas une excuse pour ne pas parler à votre médecin. La technologie ne remplacera jamais la communication humaine.
La meilleure protection, c’est vous. Votre corps, vos médicaments, vos choix. Ne laissez pas un supplément "naturel" vous mettre en danger. Parce que dans la médecine, ce qui est naturel n’est pas toujours innocent. Parfois, il est juste plus difficile à voir - et plus dangereux pour ça.
Puis-je continuer à prendre du ginkgo biloba si je prends de l’aspirine ?
Non. Le ginkgo biloba augmente le risque de saignement, surtout lorsqu’il est combiné avec des anticoagulants ou des antiplaquettaires comme l’aspirine. Des études ont montré que cette combinaison multiplie par trois le risque de saignements graves. Même si vous ne ressentez rien, cela peut causer des hémorragies internes silencieuses. Arrêtez-le ou parlez-en à votre médecin.
Le Saint-Jean peut-il rendre ma pilule contraceptive inefficace ?
Oui, et c’est un risque bien documenté. Le Saint-Jean réduit la concentration des contraceptifs oraux de 15 à 30 %. Une analyse de forums médicaux en 2022 a montré que 42 % des cas de grossesse non désirée chez les femmes prenant du Saint-Jean étaient directement liés à cette interaction. Même une petite dose peut suffire. Ne prenez jamais ce supplément si vous utilisez une contraception hormonale.
Les suppléments à base de curcuma sont-ils sûrs avec les médicaments ?
Le curcuma peut augmenter le risque de saignement, surtout avec les anticoagulants comme le warfarin ou le Xarelto. Il peut aussi interférer avec certains médicaments du foie, comme les statines. Si vous prenez un de ces médicaments, évitez les comprimés de curcuma. Une tisane occasionnelle est moins risquée, mais il vaut mieux en parler à votre pharmacien.
Pourquoi les médecins ne parlent-ils pas de ces interactions ?
Beaucoup ne le font pas parce qu’ils ne sont pas formés à ce sujet. Seuls 25 % des patients déclarent utiliser des suppléments, et les médecins n’ont souvent pas le temps ou les outils pour poser la bonne question. Ce n’est pas une négligence - c’est un système mal conçu. C’est à vous de prendre l’initiative. Apportez votre liste de suppléments à chaque rendez-vous.
Y a-t-il des suppléments vraiment sûrs à prendre avec des médicaments ?
Certains, comme le milk thistle (chardon-Marie) ou le saw palmetto, ont peu d’interactions documentées. Mais "peu d’interactions" ne veut pas dire "aucune". Même les suppléments considérés comme "bas risque" peuvent causer des effets chez certaines personnes. La règle est simple : aucun supplément n’est totalement sans risque si vous prenez un médicament sur ordonnance. Toujours vérifier.